L’opinion publique considère trop souvent, à tort, que la maltraitance des enfants est un phénomène rare, touchant majoritairement des familles défavorisées. Or, les risques existent dans toutes les classes sociales, sans distinction.
En France, un enfant meurt de maltraitance tous les quatre jours, 80 % des violences infligées aux enfants sont intrafamiliales, et vingt viols sur mineurs se produisent quotidiennement. Ces statistiques de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (Onpe) font froid dans le dos. Elles ne rendent pourtant pas compte de l’ampleur de la maltraitance infantile, car ces violences sont de natures diverses et ont des répercussions traumatiques, physiques et psychologiques à court et moyen termes.
Il peut s’agir de violences physiques (coups et blessures, syndrome du bébé secoué) ; psychologiques (menaces répétées, chantage, insultes, brimades, humiliations verbales, dévalorisation systématique : « Ce n’est pas possible d’être aussi bête ! », « Que tu es maladroite ! », « Tu es vraiment trop gros ! ») ; de violences sexuelles (climat équivoque, non-respect de l’intimité de l’enfant, parents exhibant leur sexualité, attouchements, viols).
Cela concerne également les négligences lourdes : « Privations de nourriture, de sommeil, de soins, d’attention… autant d’éléments indispensables au bon développement de l’enfant et à son bien-être », indique Marie-Pierre Colombel, présidente de l’association Enfance et partage. « Si ces comportements peuvent toucher tous les milieux sociaux, il y a cependant des facteurs aggravants comme le chômage, l’alcoolisme ou autres addictions qui rendent les parents plus fragiles et plus violents envers leurs enfants. Ce qui ne veut pas dire que dans les familles où il n’y a pas ces difficultés, il n’y a pas de maltraitance. ».
Des séquelles à vie
Dans son livre La démesure*, Céline Raphaël raconte comment son père, directeur d’usine, la frappait avec une ceinture lorsqu’elle faisait des fausses notes sur son piano, et lui criait : « Tu es pire qu’un chien ! » « Ces mots irrémédiables ont marqué ma chair jusqu’au sang. Je ne les oublierai jamais. J’ai beaucoup de mal à m’en défaire » : cet extrait poignant montre à quel point la maltraitance peut avoir de lourdes répercussions.
« Aider un enfant, c’est sauver un adulte, a l’habitude de dire Marie-Pierre Colombel. On sait que les violences subies entraînent toutes sortes de pathologies : boulimie, anorexie, troubles du comportement, tendances suicidaires, etc. En dix ans, j’ai rencontré des enfants victimes de violences totalement déstructurés, qui ne sont pas capables d’apprendre, qui ont un psychique déformé et qui grandissent avec un handicap énorme pour se construire et devenir autonomes. »
* La Démesure – soumise à la violence d’un père, éditions Max Milo (2013)
À SAVOIR
Des relais pour aider l’enfance en danger
– L’association L’Enfant bleu a développé, il y a deux ans maintenant, la plateforme en ligne alerterpoursauver.org qui permet de signaler rapidement un enfant en danger. Il suffit à l’utilisateur de se géolocaliser, ou de communiquer sa ville de résidence, pour être mis en contact avec une association de protection de l’enfance située à proximité.
– En 2008, l’association Enfance et partage ouvrait la ligne téléphonique d’écoute Allo parents bébé au 0 800 00 3 4 5 6 (numéro vert), qui vient en soutien de parents inquiets, dès la grossesse jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Une plateforme gratuite tenue par des écoutantes psychologues et puéricultrices spécialisées, du lundi au vendredi de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h.
Enfants en danger : appelez le 119 !
Opérationnel 24 h/24 et 365 jours par an, le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger sauve des vies depuis plus de trente ans. Éclairage avec son directeur, Pascal Vigneron.
Parents, enfants, voisins, professionnels… tout le monde peut appeler le 119 ! « Que vous soyez concerné, témoin ou que vous ayez des doutes sur la sécurité d’un enfant, n’attendez pas qu’il y ait un drame et n’hésitez pas à composer le 119 pour alerter sur une situation ! insiste Pascal Vigneron, directeur du service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger. C’est un geste citoyen qui en va de la responsabilité de chacun. »
Les grands principes de cette plateforme téléphonique ? « La gratuité, au même titre que les autres numéros d’urgence, la non-visibilité sur les relevés téléphoniques et la confidentialité, poursuit le responsable. Je dis bien confidentialité et non anonymat, car en cas de réquisition judiciaire, nous transmettons les éléments à l’autorité judiciaire. »
« Le 119 comptabilise 35 000 appels traités par an, soit presque une centaine par jour, et 270 000 appels entrants. Avec un taux de décrochage de 89 % », explique Pascal Vigneron. Au bout du fil, une équipe de dix agents d’accueil et de 45 écoutants professionnels qui se relaient de jour comme de nuit. « Psychologues, juristes ou travailleurs sociaux, ils ont une vraie connaissance de la protection de l’enfance et sont formés à l’écoute personnalisée et au recueil de la parole. Il n’y a pas de questionnaire type ! »
Une intervention par jour des services d’urgence
48 % des appels aboutissent à une aide immédiate de la part des équipes du 119 : conseils tant sur le plan social, juridique que psychologique, orientation vers des professionnels locaux – protection maternelle infantile (Pmi), associations d’aide à la parentalité, etc. « Dans 52 % des cas, il s’agit d’informations préoccupantes pour lesquelles nous estimons que les services départementaux doivent aller évaluer le danger », constate Pascal Vigneron. Chaque jour, un appel conduit à une intervention directe des services d’urgence pour sortir le jeune de son environnement et lui venir en aide. « Précisons, enfin, que seulement 19 % des appels au 119 proviennent de mineurs, et ils sont prioritaires. »
À NOTER
Quand un jeu vidéo aide à sauver des enfants maltraités
Pendant le confinement lié au Covid-19, l’association L’Enfant bleu et Havas Sports & Entertainment ont créé dans le célèbre jeu en ligne Fortnite un personnage destiné à recueillir, hors du radar des parents, la parole des enfants battus, maltraités ou privés de soins, et ainsi leur venir en aide.
Disponible pendant un mois, tous les jours jusqu’à 22 h 30, cet avatar a été contacté par 1 200 jeunes de 10 à 17 ans. Si la majorité a cliqué par curiosité, 30 % se sont confiés sur des problèmes personnels plus ou moins graves et parfois d’extrême urgence. Cette opération inédite a permis de confirmer que les jeux vidéo étaient un moyen efficace pour faciliter la prise de parole des enfants maltraités.